Face au virus de la peur

Comment se protéger de ce terrible virus qui commence à faire des ravages dans la population ? Je veux parler bien sûr du virus de la peur. Ce virus est bien plus contagieux et bien plus dangereux que le Covid-19. Voici 20 conseils utiles pour s’en prémunir.


1. Prenez de la distance avec vos émotions. Evitez de rester scotché devant BFM-TV, CNews, LCI et les autres chaînes d’info en continu. Elles contribuent à entretenir une forme d’hystérie collective. Prenez plutôt un bon bouquin ou revisionnez Rabbi Jacob. Vous ne serez pas déçus.
2. Evitez de vous perdre sur les réseaux sociaux (où l’on raconte tout et n’importe quoi), sauf pour venir consulter ma page, bien sûr ! Et si vous voulez être bien informés, lisez des journaux fiables : les pages numériques du Monde (https://www.lemonde.fr/) ou celles de La Vie (http://www.lavie.fr/) par exemple.
3. Ne vous rendez pas sur les sites complotistes. Ils sont remplis de fake-news et c’est mauvais pour les nerfs.
4. Evitez de passer trop de temps au café du commerce, dans les bars-tabac et dans tous ces lieux publics où l’on aime bien se monter le bourrichon.
5. Prenez conscience de vos « biais cognitifs ». Ce sont eux qui vous empêchent d’évaluer de façon rationnelle la situation. Il faut relativiser. Le coronavirus est peu contagieux (essentiellement par les mains) et son taux de mortalité (de 1 à 3%) est plutôt faible. A titre de comparaison, le taux de mortalité d’Ebola est de 60 %, celui du VIH sans traitement est de 80 %. N’oubliez pas non plus que la grippe saisonnière, qui tue en moyenne entre 5 000 et 10 000 personnes par an, en France, ne fait jamais la Une de l’actualité.
6. Avec vos voisins, faites comme d’habitude : parlez de la pluie et du beau temps ou prenez des nouvelles du petit dernier. Faites en sorte que le coronavirus ne devienne pas LE sujet de conversation. Une bonne manière de lutter contre l’envahissement mental.
7. Dormez suffisamment, prenez soin de vous et faites ce qu’il faut pour renforcer vos défenses immunitaires. Utilisez notamment des huiles essentielles genre Ravintsara ou Tea tree. Et prenez de l’extrait de pépins de pamplemousse tous les matins.
8. Souriez, rigolez, c’est bon pour le moral et ça fait du bien au cœur ! Le sourire envoie au cerveau un message positif qui provoque une baisse de production des hormones du stress et une augmentation de celles qui favorisent la bonne humeur. Cette attitude a aussi pour vertu de ralentir le rythme cardiaque et d’abaisser la pression artérielle. Bref, c’est bon pour la santé !
9. Respirez un bon coup. Lorsque vous sentez l’angoisse monter, inspirez pendant quatre secondes, puis expirer sur quatre secondes également. Faites du sport, pratiquez le zen et ne ratez pas votre séance de méditation. Il est prouvé aujourd’hui que celle-ci renforce l’immunité.
10. Allez vous recueillir à l’église, à la mosquée ou à la synagogue. La prière a des vertus insoupçonnées. Et n’acceptez pas qu’on ferme les lieux de culte… surtout si les centres commerciaux, eux, sont encore ouverts.
11. Relisez l’Évangile de Marc au chapitre 1 (versets 40 à 45). Vous découvrirez un homme fascinant qui ne craint ni la maladie ni la contagion et qui, en plus, est capable de guérir nos peurs.
12. Sortez, amusez-vous, cultivez-vous ! Allez au théâtre, à l’opéra, au cinéma ou au musée. Cela vous donnera d’excellents sujets de conversations avec votre entourage.
13. Ne vous mettez pas un masque sur le visage. C’est moche, ça fait peur et ça ne sert strictement à rien. Sauf si vous êtes vous-même malade (pour ne pas infecter les autres). Mais dans ce cas, le mieux est de rester couché et de ne pas sortir de chez vous.
14. Ne faites pas de stock dans les supermarchés. Vous allez perdre votre temps et votre argent, et vous allez contribuer à angoisser les autres. N’oubliez pas ! La peur est une maladie extrêmement contagieuse.
15. Allez voter les 15 et 22 mars pour les élections municipales. Il n’est pas plus dangereux de pénétrer dans un bureau de vote pour accomplir son devoir civique que de sortir dans la rue, prendre les transports en commun, aller au marché ou se rendre à la Poste.
16. Analysez les discours tenus par les uns et par les autres, en n’oubliant pas que la pire des contaminations, c’est la psychose entretenue par certains partis politiques pour leur propagande. Leur idéologie ? Justifier la fermeture complète des frontières et encourager le repli sur soi.
17. Ne désignez pas des boucs émissaires (les Asiatiques par exemple) ou n’agressez pas une personne qui porte un masque dans la rue ou dans les transports en commun. Cette attitude irrationnelle ne peut qu’engendrer des troubles et mettre à mal notre cohésion sociale. Ce qui ne ferait qu’amplifier l’angoisse collective.
18. Bien sûr, soyez vigilants ! Lavez-vous les mains autant de fois qu’il le faut (environ toutes les heures), mais faites le dans la joie et la bonne humeur ! Etre prudent est une chose, tombez dans la psychose en est une autre.
19. Prenez soin des personnes de votre entourage dont la santé est fragile (grand âge, cancer et autres maladies graves). Evitez provisoirement de les toucher ou de les embrasser. Mais prenez vos amis et vos enfants dans les bras et dites leur que vous les aimez.
20. Continuez à rêver, à chanter, à danser ou à écouter de la musique ! Comme l’humour, la musique est un excellent remède contre la peur ! Tiens, je vous propose cette chanson par exemple : https://www.youtube.com/watch?v=3dgfxDccI-YAllez, pas de panique, vous allez y arriver ! 🙂 🙂 🙂 La vie continue !

Une autre Eglise est possible !

Face aux crimes et aux scandales à répétition, et suite à la démission du cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, l’Eglise catholique doit engager les réformes nécessaires pour retrouver sa crédibilité. Et faire en sorte que cela ne se reproduise plus. Le moment n’est-il pas venu de lancer une grand débat ? Nous sommes tous concernés.

Suite à la condamnation et à la démission du cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, et suite à toutes les affaires et tous les crimes qui, depuis des années, ruinent la crédibilité de l’Eglise, blessent les croyants et sapent le moral des catholiques, il ne sert à rien de se lamenter. Il faut agir ! Ces scandales à répétition (et les nombreuses personnes qui en sont victimes) nous rappellent qu’il est urgent de réformer l’institution et son fonctionnement. En effet, ce ne sont pas d’abord des hommes qui sont en cause, qu’ils soient laïcs, religieux, prêtres ou cardinaux. Il serait trop facile de se contenter de désigner quelques « brebis galeuses ». Ce qui est en cause, c’est un système. Un système clérical – régulièrement dénoncé par le pape François – qui repose sur un pouvoir exclusivement masculin, l’omerta, la peur du scandale, les protections entres clercs ainsi qu’une culture de l’hypocrisie et de l’impunité.

J’en sais quelque chose, pour avoir été le premier journaliste, en 2001, à dénoncer dans les colonnes de La Vie, les abus de faiblesse et autres dérives sectaires dans plusieurs communautés religieuses, notamment chez les Frères de Saint Jean ou chez les Petites Sœurs de Bethléem. Cette enquête intitulée « Des gourous dans les couvents » avait secoué l’institution. Elle avait notamment permis la création par les évêques de la première commission d’écoute des victimes. Cela n’était jamais arrivé. Ce fut un premier pas, bien timide, mais un premier pas quand même.

Pourtant, vingt ans après, peu de choses ont changé. Les abus sont toujours aussi nombreux : abus de pouvoir, abus d’autorité, abus de faiblesse, abus sexuel. Il est temps d’agir ! L’histoire de l’Eglise, comme l’histoire de toutes les sociétés humaines, nous montre qu’une institution ne change vraiment que sous la contrainte. C’est donc le moment. J’attends de notre Église une demande de pardon publique, forte et réitérée, envers les victimes directes ou indirectes, tous les petits qu’elle a fait chuter. Et pour que cela ne se reproduise plus, je crois qu’il faut que nous collaborions, prêtres, religieux et laïcs, ensemble, pour faire avancer la grande barque de l’Eglise dans le bon sens. Voici une première liste de propositions concrètes. N’hésitez pas à l’allonger, à l’amender, à la compléter. L’heure est au Grand débat !

1. Que les cardinaux et les évêques du monde entier fassent un jeûne de la parole publique normative. Arrêtons de prodiguer des leçons de morale à la terre entière. Et que ce discours, s’il doit avoir lieu, reste modeste. L’humilité et la bienveillance sont de belles vertus. Plutôt que de regarder la paille dans l’œil de notre voisin, n’oubliant pas la poutre qui est dans la nôtre. Pendant le Carême, nous aurions pu organiser une journée de repentance, une demande de pardon à toutes les victimes, qu’il s’agisse des enfants abusés par des pédophiles ou des religieuses réduites par des prêtres à l’esclavage sexuel.

2. Que dans les discours des prêtres et des évêques, le souffle de l’Evangile reprenne la première place et qu’on arrête de placer la morale familiale et sexuelle comme une priorité. La priorité, c’est le Christ et le chemin qu’il nous ouvre, pas les affaires de zizi. Dans l’Evangile, Jésus parle de relation, de fidélité, d’amour, jamais de sexe. Cette obsession de l’Eglise sur les mœurs, comme tous les discours d’idéalisation et de sublimation (notamment sur la sexualité), sont au cœur du problème. Blaise Pascal avait raison : « Qui veut faire l’ange fait la bête ». Il faudrait, par exemple, accepter une fois pour toute, qu’une partie (une grande partie) du clergé est de tendance homosexuelle. Ce n’est pas un problème en soi. Hétéro ou homo, ce qui compte c’est d’être en vérité et de respecter les engagements pris. Le problème, c’est l’hypocrisie et le double-langage qui en découlent. Le mensonge enferme, la vérité rend libre.

3. Que le célibat des prêtres soit un choix personnel et ne soit plus quelque chose d’automatique et d’imposé. Ce qui ouvrirait la possibilité d’ordonner des hommes mariés, comme aux premiers temps de l’Eglise. Nous devrions renouer avec cette tradition oubliée, encore présente dans les Eglise catholiques d’Orient. Cela apporterait beaucoup d’air frais à notre Eglise. C’est aussi l’opinion de Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, qui, dans un entretien diffusé le le 8 mars 2019 sur RCF demandait que des hommes mariés puissent être ordonnés prêtres et que des femmes puissent assurer la prédication.

4. Que les séminaires ne soient plus des pensionnats fermés pour jeunes adultes, retirés du monde, mais soient des lieux de passage, des lieux ouverts : ouverts sur la vie, sur la culture, sur la société, sur l’université. Que les futurs prêtres ne soient pas considérés comme des moines, coupés du monde. Que les enseignements ne soient pas que bibliques ou théologiques, mais accordent une large place aux sciences humaines et à la compréhension du monde dans lequel nous vivons et dont nous sommes partie prenante. Que, partout, les séminaristes puissent bénéficier d’une formation universitaire ouverte aux laïcs, femmes et hommes.

5. Que les curés de paroisse ne concentrent pas tous les pouvoirs, comme cela se produit parfois, et que leur action soit régulée par une équipe de laïcs dûment mandatée par les paroissiens. Dans les synagogues comme dans les temples ou dans les mosquées, les rabbins, les pasteurs et les imams doivent sans cesse faire leurs preuves et sont révocables en cas de manquement ou d’incompétence. Cette procédure éviterait à certains curés de se comporter comme des petits roitelets en leur royaume, sans avoir de compte à rendre à personne. Comme l’affirme Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, « le prêtre n’est pas une personne sacrée », il est un pasteur, au service de la communion, dont le rôle est aussi d’encourager la prise de responsabilité des laïcs. Il faut aussi que ces derniers jouent le jeu et ne se comportent pas comme des bénis-oui-oui ou de simples consommateurs.

6. Que le pouvoir dans l’Eglise ne soit pas réservé aux religieux ou au ministres ordonnés, mais qu’il soit partagé avec des laïcs, élus, volontaires ou mandatés. Que l’on retrouve les chemins de la collégialité et de la co-responsabilité de tous les baptisés, pour que l’Eglise soit vraiment l’affaire de tous. Et qu’on en finisse une fois pour toutes avec les « douanes pastorales » dénoncées à juste titre par le pape François.

7. Que les prêtres, les évêques et les laïcs en responsabilité puissent se former aux méthodes de management, comme cela se pratique déjà dans certains diocèses. Apprendre auprès de professionnels à mener une équipe, à gérer les conflits, à pratiquer un management marqué par l’écoute, le respect et la bienveillance. On peut être un saint prêtre et être incapable de manager une communauté. Gérer les ressources humaines et prendre des décisions éclairées, cela s’apprend. On pourrait imaginer des séances de coaching.

8. Que les laïcs, sans tomber dans le piège de la tentation cléricale, se prennent en main et cessent de se comporter comme des enfants ou comme des consommateurs, assistés. Qu’ils acceptent de se former et de donner de leur temps, de leurs compétences et de leurs énergies. Beaucoup le font, mais ils restent minoritaires. Qu’ils cessent aussi de se taire ou de se laisser marcher sur les pieds. Un prêtre ou un évêque qui abuse de son autorité n’a que le pouvoir qu’on veut bien lui donner. Qu’on arrête d’ailleurs d’appeler nos évêques « Monseigneur ». Nous n’avons qu’un seul Seigneur et maître, c’est le Christ.

9. Que les laïcs cessent de sacraliser ou d’idéaliser les prêtres ou les religieux, comme ils le font parfois. Au risque d’en faire des gourous (et je sais de quoi je parle). La vocation sacerdotale ou religieuse n’est pas supérieure à la vocation baptismale. Elle n’en est qu’une expression parmi d’autres. Encore une fois, les prêtres et les évêques ne sont pas des personnes sacrées.

10. Que les femmes puissent accéder au diaconat permanent et qu’elles soient en tout point considérées comme égales aux hommes. Qu’elles puissent, dès maintenant, assurer des homélies. Les diacres, les prêtres et les évêques ne peuvent prétendre au monopole de la prédication. Nous avons besoin d’une lecture laïque, mais aussi d’une lecture féminine de la Parole de Dieu. Nous avons besoin d’une Eglise qui soit signe d’unité et de communion entre femmes et hommes. Que la question de la prêtrise au féminin ne soit plus un sujet tabou et qu’on se saisisse enfin de ce débat. Ordonnées ou non, que les femmes puissent, dès maintenant, participer aux décisions pastorales et qu’elles aient la pleine responsabilité des services ou des ministères institués qu’elles exercent, sans avoir besoin d’en référer à un homme. Que la parité femme/homme devienne la règle dans toutes les instances ecclésiales : conseils pastoraux, équipes d’animation paroissiale, conseils épiscopaux…

11. Que tous les catholiques (pape, évêques, prêtres, diacres, religieux et religieuses, laïcs) fassent passer l’Evangile avant tous les discours normatifs qui ne sont que secondaires. L’Evangile n’est pas un code de bonne conduite, mais le récit d’une vie donnée, celle du Christ mort et ressuscité. Le christianisme n’est pas un ordre moral, c’est une révolution spirituelle et fraternelle. Les prostituées nous précèdent dans le Royaume de Dieu.

12. Que nous apprenions à vivre, à croire et à célébrer ensemble, entre générations, entre milieux sociaux, entre origines ethniques, entre hommes et femmes, entre garçons et filles. Il faut notamment cesser cette forme d’apartheid qui, dans certaines paroisses, notamment à Paris, consiste à laisser les filles au pied des marches du chœur pour que les garçons soient les seuls à s’approcher de l’autel. Cette ségrégation liturgique rassure certaines familles traditionnelles refusant la mixité pour leurs enfants, et certains prêtres, persuadés que la présence des filles auprès de l’autel va leur donner de « mauvaises idées » (devenir prêtres ?) et va perturber les garçons. Cette mise à l’écart me paraît contraire à l’esprit de l’Evangile et au bien de l’Eglise.

13. J’appelle enfin mon Eglise à ouvrir un nouveau concile pour prolonger Vatican II et aller encore plus loin dans les réformes. Un concile où le rôle du pape, comme serviteur de la communion, serait réaffirmé, tandis que l’institution pourrait s’engager dans un véritable processus de décentralisation. Il faut redonner de l’initiative aux Eglises locales, tant au plan national que continental. Des décisions prenant en compte les cultures et les mentalités de nos contemporains pourraient être prises en Europe sans que cela engage l’Afrique ou l’Asie, et réciproquement. Les conférences épiscopales devraient pouvoir retrouver une partie de leur autonomie. Notre Eglise doit devenir un peu plus catholique et un peu moins romaine. Ce concile serait aussi l’occasion d’ouvrir largement aux femmes l’institution et ses lieux de gouvernance. La moitié de l’humanité n’est pas représentée au Vatican.

14. Quoi qu’il arrive, aimons l’Eglise ! Aimons-là comme on aime quelqu’un à qui on ose tout dire. Aimons-là en faisant la part des choses entre ce qui relève de l’institution et ce qui relève de la vie du peuple de Dieu, de la vie de l’Esprit. Entre ce qui relève des normes édictées par des hommes et ce qui relève du Christ et de l’Evangile. Aimons-là avec notre cœur et notre intelligence, sans jamais renoncer à notre esprit critique. De manière lucide et distanciée. C’est ainsi, en tout cas, que je m’efforce de rester catholique, même si parfois la tentation est grande de claquer la porte comme tant d’autres de mes amis l’ont fait ces dernières années. Même si je le regrette, je ne peux que les comprendre… Mais oui, aimons-là.

Des frontières à dépasser

Dans la tradition judéo-chrétienne, l’accueil de l’étranger n’est pas seulement une question éthique. C’est une exigence consubstantielle à la foi. Dans la Bible, l’étranger est figure de Dieu. 

« Les chrétiens résident chacun dans leur propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie, une terre étrangère. » Cet extrait de la Lettre à Diognète, rédigée à la fin du IIe siècle par un auteur anonyme, résume à elle seule une dimension importante de l’anthropologie chrétienne. Elle permet de comprendre pourquoi parmi les sujets à fortes implications éthiques, celui de l’immigration mobilise aussi fortement les croyants. Et explique aussi pourquoi, depuis quelques années, on assiste à une redécouverte du thème des migrations dans le domaine de la réflexion théologique.

Dans la Bible, dès Abraham, le rapport à l’étranger traverse l’histoire du peuple hébreu. Les deux expériences essentielles de l’Exode et de l’exil à Babylone, se traduisent dans la loi : « Tu n’opprimeras pas l’étranger (…) L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte » (Ex 29,3). Il ne s’agit donc pas d’abord d’un principe éthique, juridique, mais bien d’une exigence théologale. Aimer l’étranger est mis en lien avec une expérience qu’on dirait aujourd’hui spirituelle : une invitation à découvrir notre propre condition d’étranger. Le peuple élu a été constitué par un geste de Dieu : la libération du pays d’Égypte, qui se traduit par une mise en mouvement, une migration de la terre d’esclavage à la terre promise. »

Dans un article publié dans la revue Migrations Société, en 2012, l’exégète allemand Franck Crüsemann décrit ainsi la marque migratoire profonde des Écritures : « La Bible, depuis la migration d’Abraham et probablement déjà depuis Caïn jusqu’à l’enfant déposé dans la crèche, est une histoire d’hommes qui partent, qui migrent à la recherche de pain, de terre et de protection, qui errent et qui reviennent. » Cette migration est à la fois réelle – déplacements géographiques de personnes, de clans familiaux et de peuples – et symbolique, car elle représente la vie de l’être humain et du croyant comme un voyage, un pèlerinage (comme l’attestent par exemple les passages du Deutéronome 5, 33 et du psaume 1).

Ce thème sera repris par les Pères de l’Église et de nombreux auteurs chrétiens qui insistent sur le fait que nous sommes en pèlerinage vers la Cité de Dieu. Pour eux, le disciple du Christ ne peut s’identifier à aucun lieu, aucune terre, aucun enracinement de type biologique (race), ethnique, national ou culturel. « Le phénomène de la mobilité humaine évoque l’image même de l’Église, peuple en pèlerinage sur la terre, toujours orienté vers la Patrie céleste, écrivait Jean Paul II dans un message pour la Journée mondiale du migrant en 1998. Pour le chrétien, l’accueil et la solidarité envers l’étranger ne constituent pas seulement un devoir humain d’hospitalité, mais une exigence précise qui découle de la fidélité même à l’enseignement du Christ. »Autrement dit, il ne s’agit pas seulement d’éthique, mais de foi.

Dans un livre publié en 1985 aux États-Unis, frère John de Taizé traçait cette particularité de la tradition judéo-chrétienne : « Une chose rend ce Dieu différent des autres divinités adorées partout en ces jours-là. Toutes étaient liées à des endroits particuliers – des montagnes, des fleuves, des villes, des régions – tandis que le Dieu qui parle à Abraham n’est lié à aucun lieu. C’est un Dieu en marche, un Dieu pèlerin. »Un Dieu qui d’« hébergeur » – à savoir celui qui a créé la terre, en est son unique et vrai propriétaire – devient « hébergé », comme le montre l’épisode de la rencontre entre Abraham et les trois pèlerins du chêne de Mambré (Genèse 18, 1-16). Cette figure du Dieu migrant, itinérant, hébergeur et hébergé se voit à nouveau dans le Nouveau Testament. Jésus est celui qui vient parmi les siens, « plante sa tente » parmi nous, mais n’est ni reconnu ni accueilli, d’après le prologue de l’Évangile de Jean.C

Dans les évangiles, Jésus s’identifie avec l’étranger qu’il faut accueillir, selon la fameuse scène du Jugement dernier décrite dans Matthieu 25 (31-46). Il est crucifié comme un étranger, un criminel, « en dehors » des murs de la ville. Dans la même ligne, l’auteur de la Lettre aux Hébreux (10, 13-14) invite les croyants à le suivre « en dehors » du campement pour aller vers lui dans la ville future. L’apôtre Paul écrit aux Galates (3,28) que, en Christ, « il n’y a plus ni juif, ni païen, il n’y a plus ni esclave, ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus ». Thème repris par Jean Paul II qui écrira : « Dans l’Église, nul n’est étranger. »

Pour la doctrine sociale, la dignité de l’être humain ne dépend pas de sa nationalité, de sa race, de son sexe ou de son âge. Elle est inconditionnelle ! » D’où l’engagement des Églises contre les humiliations, les discriminations et toutes les formes de racisme. Le chrétien est invité à ne pas aborder le migrant comme une menace, mais comme un frère. Toute rencontre est une chance, une grâce. Cessons de ne parler de l’immigration qu’en termes de problèmes ». Outre le fait que l’immigration participe à l’enrichissement et contribue au dynamisme d’un pays comme la France, il faut rappeler le principe de « destination universelle des biens », énoncé par le concile Vatican II : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, de sorte que les biens de la Création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité » (Gaudium et spes 69). Oui, pour reprendre cette belle expression du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), la Terre est à tous !

Saint Ambroise (340-397) disait déjà aux riches : « Lorsque vous faites l’aumône aux pauvres, vous ne vous dépouillez pas de vos biens, mais leur rendez ce qui leur appartient de droit. Car vous vous êtes approprié pour votre seul usage ce qui a été donné pour l’usage de tous. La Terre n’appartient pas aux riches, mais à tout le monde. C’est pourquoi, loin de vous montrer généreux, vous ne faites que rembourser une partie de votre dette. » Un principe qui peut s’appliquer à la question des migrations. Dans un texte publié le 15 novembre 2002, le président de la Conférence épiscopale du Mexique déclarait : « Le don de la terre à l’homme, la destinée universelle des biens par désir du Créateur et la solidarité humaine sont antérieures aux droits des États (…) Ces derniers et leurs lois légitimes de protection des frontières seront toujours un droit postérieur et secondaire par rapport aux droits des personnes et des familles à la subsistance. »L’intérêt national ne peut pas être, pour un chrétien, le critère ultime de ses choix politiques. Il en va de l’universalité, de la catholicité de l’Église.

En d’autres termes, l’intérêt national est un objectif qu’il est légitime de prendre en compte, mais il ne peut pas être, pour un chrétien, le critère ultime de ses choix politiques. Il en va de l’universalité, de la catholicité de l’Église. Celle-ci ne conteste pas aux États le droit de gérer les entrées sur leur territoire. Ce qu’elle conteste, c’est que les critères d’admission soient fixés en considération du seul intérêt national, non du bien universel. Ce qui explique les nombreuses prises de position du pape François, pasteur d’une « Église sans frontières », contre l’indifférence des Européens face au sort des migrants et contre le projet du président américain Donald Trump de bâtir un mur entre le Mexique et les États-Unis.

Dans un message pour la Journée de la paix, le pape Jean Paul II écrivait : « L’appartenance à la famille humaine confère à toute personne une sorte de citoyenneté mondiale, lui donnant des droits et des devoirs, les hommes étant unis par une communauté d’origine et de destinée suprême (…) La condamnation du racisme, la protection des minorités, l’assistance aux réfugiés, la solidarité internationale envers les plus nécessiteux, ne sont que des applications cohérentes du principe de citoyenneté mondiale. » (1er janvier 2005) Pour le chrétien que je suis, les frontières ne sont que relatives. Elles demandent à être franchies. Lieux de passage, elles ne pourront jamais devenir des murs. J’en suis convaincu, loin de représenter une menace, les migrants sont une chance pour notre humanité commune. Ils nous rappellent que nous appartenons à la même famille humaine.

Dire non au Front National

Planète réconciliéePourquoi un chrétien doit dire NON au Front national

Le Front national n’est pas un parti comme les autres. Depuis sa création en 1972, ce mouvement d’extrême-droite exploite les peurs et les désespérances des Français. Il se nourrit du malheur des gens et propose des solutions dangereuses qui mettent en péril la cohésion et l’équilibre de notre société. Ces dernières années, des chrétiens sincères – des catholiques en particulier -, pour des raisons qui leur sont propres, ont eu le sentiment qu’ils pouvaient adhérer à ce parti, ou tout simplement voter pour ses candidats, sans que cela ne remette en cause leur fidélité au Christ. Ces chrétiens sont de bonne foi, mais ils se trompent. La philosophie du Front national, sa vision de l’homme et sa vision du monde sont clairement aux antipodes de l’esprit de l’Evangile. A part quelques éditorialistes catholiques ou évêques courageux, qui ose le dire aujourd’hui ? Et où sont passés les veilleurs de la Manif pour tous, si prompts à dénoncer la faillite morale de notre société et qui, il y a quatre ans encore, appelaient à une révolution des consciences ?

Je le dis ici et je l’affirme : les principes fondamentaux de l’extrême-droite – partout dans le monde – sont incompatibles avec la foi chrétienne. Je suis indigné par le fait que des mouvements qui se réclament explicitement du christianisme, tels que Sens commun, la Manif pour tous ou le Parti chrétien démocrate fondé par Christine Boutin, puissent prendre position en faveur de la candidate du Front national ou s’abstenir, ce qui dans le contexte électoral actuel revient au même. Je suis troublé par le fait que certains évêques (très peu quand même, fort heureusement), comme Mgr Rey, l’évêque de Fréjus-Toulon, fasse preuve d’autant de complaisance à l’égard de ce parti dont les fondamentaux sont opposés à ceux du christianisme. En invitant Marion Le Pen-Maréchal à s’exprimer officiellement lors d’une université catholique, en août 2015, et en refusant de prendre clairement position pour le second tour de l’élection présidentielle (avec des propos pour le moins ambigu), cet évêque conservateur a grandement contribué à banaliser un parti qu’un homme comme l’Abbé Pierre avait passé une partie de sa vie à combattre.

La revendication de l’égoïsme national, le refus de l’accueil des étrangers — pour ne prendre que deux points essentiels -, sont aux antipodes de la foi des chrétiens et du message de Jésus. Bien d’autres éléments du programme de Marine Le Pen devraient aussi faire dire à tout chrétien sincère « non possumus ». Le christianisme étend le commandement de l’amour à l’ensemble de la famille humaine, au point que Jésus n’a jamais promu la famille selon le sang et lui a substitué la famille selon l’esprit. Aussi l’argument de la « défense de la famille », brandi par ces mouvements contre la diversité des familles et la pluralité des modes de vie est-il lui aussi fallacieux.

Loin de la tambouille politique qui ne m’intéresse pas, mon propos voudrait se situer sur le terrain moral et spirituel. Un terrain sur lequel on ne peut transiger. On peut discuter à l’infini des programmes des uns et des autres. Ce n’est pas ici mon propos. Je veux rester sur les fondamentaux. Même si elles ont parfois l’impression de se répéter ou de prêcher dans le désert, nos Églises doivent continuer avec patience à rappeler les exigences de l’Évangile, en rappelant qu’un choix est toujours possible mais que tous les choix ne sont pas possibles. L’intolérable ne peut être toléré. C’est l’une des tâches des chrétiens que de donner du courage et de l’espérance aux gens. Nous devons inlassablement essayer de transmettre aux jeunes et à tous nos concitoyens des convictions solides, des références fortes, afin qu’ils n’agissent pas sous l’emprise de la peur ou de l’illusion. Non, le Front national n’est pas un parti comme les autres. Voici dix raisons pour lesquelles les chrétiens doivent le combattre :

1. Le Front national n’est pas un parti humaniste

La Déclaration universelle des droits de l’homme, qui constitue la base morale des Nations unies, est sans doute l’un des plus grands progrès de l’humanité, en réaction aux idéologies totalitaires du XXe siècle et aux deux guerres mondiales qui l’ont ensanglanté. Même imparfaits, ces droits de l’homme prennent leur source dans la Bible et dans la tradition judéo-chrétienne. Ils représentent un rempart contre toutes les formes de totalitarismes d’hier et d’aujourd’hui : stalinisme, fascismes, nazisme, autoritarisme, népotisme, théocraties… Or, il se trouve que le Front national déteste les droits de l’homme. A commencer par son article 1 : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Le FN ne croit ni à la liberté, ni à l’égalité, ni à la fraternité universelle. D’ailleurs, pour Jean-Marie Le Pen, « la Déclaration des droits de l’homme (celle de 1789) marque le début de la décadence de la France » (discours prononcé le 26 août 1989).

L’humanisme n’a pas de frontières, sinon ce n’est plus de l’humanisme. Il est nécessairement universel (« catholique » en grec). Jean-Marie Le Pen déteste les juifs. Sa fille, Marine, déteste les musulmans. Cela procède de la même posture, le refus de la différence, et d’un même mythe : la pureté ethnique ou religieuse. Une pureté chère à un mouvement comme Daesh… Le FN adore trier et hiérarchiser les individus, en les classant en catégories : les blancs contre les noirs ; les Européens contre les Arabes ; les chrétiens contre les musulmans ; les bons pauvres (les « nôtres ») contre les mauvais pauvres (les « migrants ») ; les bons journalistes contre les mauvais journalistes ; les Français de souche contre les Français d’origine étrangère. Le « tri » a toujours été un des projets de l’extrême-droite. Le FN traite les citoyens différemment selon leur appartenance religieuse, culturelle ou sociale. Cela porte un nom : discrimination. Une attitude bien éloignée de celle du Christ.

2. Le Front national n’est pas un parti démocrate

Certes, il évolue dans une société démocratique, mais plutôt que de servir la démocratie, il se sert d’elle. La tradition de ce parti est à la fois démagogique (il dit aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre) et autoritaire, avec un culte du chef. On voit bien comment un homme d’État comme Poutine, brutal et autoritaire, dont la philosophie politique est très proche de celle du Front National, a tout fait pour se maintenir au pouvoir, en manipulant les institutions. Une fois au pouvoir (s’ils y accèdent), qui pourrait garantir que les responsables du FN ne détourneront pas les institutions pour arriver à leur fin ? La démocratie est un bien fragile qui n’est jamais acquis une fois pour toute. La démocratie, c’est l’amour de la différence, du dialogue, du pluralisme, dans un cadre respectueux accepté par tous.

Pour nous en France, la démocratie, c’est à la fois le siècle des Lumières, la tradition républicaine, la mémoire de la résistance, la lutte contre la barbarie nazie, la laïcité, la liberté, l’égalité et la fraternité. Autant de valeurs qui prennent leur source dans la tradition judéo-chrétienne. Or, depuis sa création en 1972 par l’Ordre Nouveau et par des anciens de la guerre d’Algérie, membres de l’OAS, le FN s’est mis résolument en dehors de ce cadre. C’est aussi la raison pour laquelle ce parti n’est pas un parti comme les autres. Souvenez-vous ! Au moment même où, lors des dernières élections présidentielles en 2012, Marine Le Pen en appelait à la démocratie pour avoir ses 500 signatures, elle est allée valser à Vienne avec la fine fleur de l’extrême droite européenne, dans un bal où l’on rendait hommage non pas aux ouvriers victimes de la mondialisation, mais aux révisionnistes et aux nostalgiques du Troisième Reich.

3. Le Front national nie la complexité du monde

Face à la complexité du monde, le FN pratique le simplisme des mots et des expressions. C’est d’ailleurs pour cette raison que beaucoup d’électeurs le rejoignent. Le triomphe du FN, c’est la triomphe des clichés sur la pensée et la victoire des simplismes sur la réflexion. S’il est une formation qui réduit le discours aux slogans et l’intelligence à la rectitude politique, c’est bien le FN, vrai parti du prêt-à-penser. Les émotions plus que la raison. D’un côté, on a des hommes politiques qui peinent à exprimer un message clair et ne se renouvellent pas et, de l’autre, des gens nouveaux, jeunes, usant d’une rhétorique quasi religieuse qui rassure. Leur représentation du monde n’a souvent pas grand-chose à voir avec le monde réel. Nous sommes dans une sorte d’illusion.

Plus grave encore, le FN fait passer son idéologie avant les personnes concrètes. C’est le cas, par exemple, pour les enfants des familles de migrants que Madame Le Pen, si elle prend le pouvoir, n’inscrira pas dans les écoles de la République ou les renvoie chez eux sans aucun état d’âme. Il est arrivé que l’Église catholique et bien d’autres institutions fassent, elles aussi, passer leurs dogmes ou leurs idéologies avant les personnes concrètes, mais aucun disciple du Christ ne peut accepter cela. Etre chrétien, ce n’est pas défendre je ne sais quelle civilisation ou je ne sais quel ordre moral. C’est défendre l’humanité concrète, l’humanité de l’homme, ce qu’il y a de plus humain en chacun et en chacune d’entre nous. Jésus n’a jamais défendu l’ordre moral. Jugé comme perturbateur et comme blasphémateur, il en a même été l’une des victimes.

4. Le Front national est un parti xénophobe

Le Front national a une obsession : exclure les « immigrés », jugés responsables de tous les maux. Plus largement, il se méfie des jeunes des quartiers populaires et veut instituer un délire sécuritaire qui ne fait que renforcer les haines, les incompréhensions et les difficultés à vivre ensemble. Le FN promet des lendemains qui chantent, en désignant les boucs émissaires dont l’élimination réglerait comme par enchantement tous les problèmes : les étrangers, les musulmans, les réfugiés, les migrants, les Roms, les jeunes de banlieue, etc. En jouant principalement sur la peur des autres, l’idéologie FN conduit inéluctablement à la division de la société française et aggrave l’exclusion sociale.

C’est une erreur de faire des migrants les boucs-émissaires de nos difficultés, de laisser croire qu’on peut résoudre tous les problèmes à partir d’un seul point d’analyse : le rejet de ceux qui viennent d’ailleurs. L’Église, au contraire, prend le pari d’accueillir l’être humain, quelles que soient sa condition, ses origines, sa religion ou sa situation administrative, dans une démarche de partage. Les évêques de France l’ont encore rappelé récemment : on ne peut être catholique, c’est-à-dire « universel », et en même temps être xénophobe, c’est-à-dire avoir peur des étrangers. « Dieu ne fait pas de différence entre les hommes » (Actes des Apôtres 10, 34).

5. Le Front national est un parti violent

Il n’est pas anodin que le fondateur du FN, Jean-Marie Le Pen, un homme brutal et autoritaire, soit un ancien tortionnaire de la guerre d’Algérie. Cela ne doit rien au hasard. Avec le FN, malheur aux faibles ! Ce parti s’inscrit dans un courant historique basé sur la loi du plus fort. C’est toujours cette loi qui prédomine, même s’il essaie actuellement de prendre l’apparence du défenseur des victimes de la mondialisation. Sa conception des rapports sociaux se fonde sur des rapports de force. Face à la culture du consensus ou de la négociation, le FN préfèrera toujours les oukases et la confrontation. Au lieu de rassembler, ce mouvement monte les gens les uns contre les autres. AU FN, l’injure fait partie de la réthorique. Or, les propos hargneux, voire haineux, la vindicte agressive, la disqualification des adversaires ne sont pas compatibles avec l’esprit de l’Evangile.

Régulièrement des membres du FN s’illustrent en prononçant des injures raciales ou en tenant des discours sexistes, voire homophobes, l’homosexualité constituant pour Jean-Marie Le Pen « une anomalie biologique et sociale » (13 février 1984).  « Le sidaïque est contagieux par sa transpiration, ses larmes, sa salive, son contact ; c’est une espèce de lépreux », déclarait Le Pen avec mépris, au moment de l’apparition du sida en 1987. Un discours d’exclusion bien éloigné de l’attitude compatissante de Jésus, dans l’Evangile, face aux lépreux, face aux handicapés, face aux plus pauvres et à tous les exclus de la société.

Les idéologues du FN détestent les hommes de paix et de réconciliation comme Gandhi qui, en Inde, tenta d’empêcher la création du Pakistan (la pays des « purs », ça ne vous rappelle rien ?) à la fin des années 1940. Les idéologues du FN détestent Martin Luther King, qui dénonça la ségrégation raciale aux Etats-Unis, dans les années 1950/1960. Les idéologues du FN détestent Nelson Mandela, qui réussit à mettre fin à l’apartheid en Afrique du sud. Les idéologues du FN détestent ceux qui, en France ou ailleurs, agissent pour la cohésion sociale, notamment par le biais du dialogue interreligieux ou interconvictionnel, comme l’association Coexister. Les idéologues du FN détestent tous ceux qui, partout dans le monde, militent pour la justice, pour les droits de l’homme et pour la rencontre des peuples. Pour mieux les dévaloriser, ils les accusent d’être des naïfs, des bisounours ou de faire du « droit-de-l’hommisme ».

Les idéologues du FN préfèrent des personnalités comme le général Franco (Espagne), le général Pinochet (Chili) et tant d’autres dictateurs autour de la planète qui voulaient soi-disant « rétablir l’ordre », contre la décadence et la perte des valeurs. Les idéologues du FN préfèrent les autocrates, comme Vladimir Poutine ou Donald Trump, qui agissent toujours de manière brutale. C’est aussi pour cette raison qu’ils admirent le maréchal Pétain, malgré sa collaboration active avec les nazis. Les idéologues du FN préfèrent des personnalités comme Ygal Amir, militant d’extrême-droite, qui assassina en 1995 le premier ministre israélien Yitzhak Rabin, pour empêcher les accords de paix entre Israéliens et Palestiniens. Les idéologues du FN préfèrent le Parti national d’Afrique du Sud qui théorisa et mis en œuvre le « développement séparé » des blancs et des noirs. On pourrait dire que le FN est à la nation ce que le salafisme politique est à l’islam : une dérive dangereuse et mortifère. Une récupération de type « radicale », contraire à l’esprit de douceur et de paix des Béatitudes : « Heureux les doux, ils obtiendront la Terre en partage » (Matthieu 5,5).

6. Le Front national joue sur les peurs

A entendre Marine Le Pen, nous vivrions dans un pays de cauchemar, envahi par les étrangers, confisqué par une oligarchie corrompue, menacé par des complots de toutes sortes, hanté par les criminels, rongé par la fraude, victime de la mondialisation… L’égérie du Front national n’a à la bouche que la défense de la France, mais elle passe son temps à la caricaturer, à la dénaturer pour offrir ses martingales simplistes à ceux qui croient au paradis perdu. Ses thèmes de campagne se résument à des anathèmes. Avec son discours fantasmagorique, elle dégrade l’image de notre pays plus sûrement que n’importe quelle agence de notation.

Son discours s’adresse plus souvent aux émotions qu’à la raison, aux pulsions – et pas toujours les plus positives. C’est la politique du pire et de la peur. Ce qui est frappant, c’est qu’elle conteste toutes les statistiques officielles… sauf quand elles sont alarmantes ! Pour elle, il y a beaucoup plus de chômeurs qu’on ne le dit, plus d’immigrés, plus de fraude fiscale, plus de viande halal. Mais si la police dit que les cambriolages augmentent, elle en prend acte – comme pour la proportion de pauvres ou de salariés précaires. C’est une façon de ne voir la réalité qu’en termes négatifs. De ce point de vue – quoi qu’elle en dise -, Marine Le Pen s’inscrit dans une longue tradition idéologique de l’extrême droite : celle du défaitisme.

Rien d’évangélique là-dedans. Le Christ, au contraire, invite à la confiance et à la bienveillance. Une confiance créatrice que les dizaines de milliers de jeunes qui fréquentent chaque année la communauté de Taizé en Bourgogne, pour ne citer que ceux-là, cherchent à cultiver et à faire grandir. La peur nous emprisonne et conduit toujours à la violence. La foi, au sens de la confiance (confiance en soi, confiance dans les autres, confiance en Dieu) nous délivre et libère en nous des énergies insoupçonnées. Jésus nous rappelle que si Dieu nourrit les oiseaux du ciel, à combien plus forte raison pourvoira-t-il aux besoins de ses enfants ? « N’ayez donc pas peur : vous valez bien plus que tous les moineaux du monde. » (Matthieu 10, 31).

7. Le Front national est un parti sectaire

Le mot « sectaire » vient du latin « secare » qui veut dire « couper ». Suivre le FN, c’est couper une partie des Français d’une autre partie des Français, en montant les groupes sociaux, ethniques ou religieux les uns contre les autres. C’est couper la France du monde et lui faire perdre son rang dans le concert des nations. Ce parti veut unilatéralement fermer nos frontières, quitter l’espace Schengen, sortir de l’Europe, généraliser le protectionnisme contre les produits étrangers… Une attitude à la fois naïve, utopique et irresponsable : les pays étrangers répondront naturellement par des mesures de rétorsion aux restrictions que la France leur imposera. Qui peut croire que 66 millions de Français pourraient imposer leur loi à un monde ouvert de 7 milliards d’individus ? Sortir de l’Euro, sortir de l’Europe, sortir de l’OMC… Face aux défis du XXIe siècle, le FN a toujours la même attitude de repli sur soi et de mépris du monde. Se couper de l’international, c’est le choix qu’on fait les derniers Etats staliniens (Cuba ou la Corée du Nord). Ils figurent aujourd’hui parmi les plus pauvres au monde. Le FN est contre la coopération internationale, contre le co-développement. Chacun pour soi et que le meilleur gagne ! Le FN, c’est un égoïsme national érigé en valeur suprême, alors que chacun sait que notre avenir sera dans l’échange et dans la solidarité… ou ne sera pas !

Le Front national, c’est la parti des frontières mentales, des murs et des barbelés. Le propre d’une idéologie sectaire, c’est de vouloir nous couper des autres (qui apparaissent comme dangereux) ou du monde (jugé foncièrement mauvais). A cet égard, on pourrait comparer le Front national à quelque chose comme l’Église de Scientologie. Présente en France, ce mouvement international isole ses adeptes de leur entourage pour mieux abuser de leur faiblesse. Elle commet beaucoup de ravages sur les esprits. Invoquant la liberté d’opinion, ses responsables se défendent en mettant en avant leurs nombreuses actions de lutte contre la drogue. Mais à quel prix ? C’est la question que l’on peut poser aussi au FN qui prétend nous délivrer de tous nos maux sociaux. Mais à quel prix ?

Le Front national nous propose de fermer les frontières et de chasser les étrangers, c’est-à-dire de vivre petitement, entre nous. De se reproduire en famille en quelque sorte. De créer une société parfaitement homogène (une société qui n’existe pas, à moins de créer un nouvel apartheid), blanche de préférence et chrétienne si ça peut servir d’un point de vue identitaire. À quelle période de l’histoire et dans quel pays, le repli sur soi-même a-t-il marché ? Jamais ! La fermeture entraîne l’isolement. L’isolement conduit au totalitarisme.

Jésus ne s’est jamais comporté de manière sectaire. Il a passé son temps à tisser des liens, à abattre les murs des préjugés, à rencontrer les hommes et les femmes de son temps, sans exclusive et sans à priori : le centurion romain (puissance occupante), la Samaritaine, le collecteur d’impôt et même le lépreux, banni parmi les bannis. En ce sens, il a contribué à nous montrer un chemin où la relation avec l’autre, dans le respect de son altérité, est première.

8. Le Front national est un parti de guerre

En défendant une vision du monde basée sur le choc des civilisations et sur le refus des différences, le Front national est un parti de guerre. En affirmant, par exemple, qu’il est impossible de vivre dans une société pluriculturelle parce que tout cela ne peut que dégénérer, ce parti énonce ce qu’on appelle une « prophétie auto-réalisatrice ». Cette prophétie cherche à modifier les comportements des citoyens de telle sorte qu’ils fassent advenir ce que la prophétie annonce. Ce qui n’était qu’une possibilité parmi d’autres devient réalité, par l’autorité de l’oracle qui énonce la prophétie ou par la focalisation des esprits sur cette possibilité. Car l’engrenage des antagonismes est en partie fondé sur les intentions qu’on prête, à tort ou à raison, à l’autre. Au chapitre des prophéties auto-réalisatrices, le fait de considérer l’autre comme hostile conduit à prendre des précautions, voire des actions préventives, que ce dernier peut interpréter comme autant de menaces. Ces agressions caractérisées entraîneront un phénomène de rejet réciproque et motiveront de sa part des attitudes symétriques. Dès lors, le cercle vicieux est enclenché et l’hostilité ne peut que se renforcer. C’est ce qui se passe déjà dans nos banlieues. Les discours discriminants et les regards malveillants, cultivés notamment par le Front national, suscitent en retour une autre violence. Pour la paix civile, pour le bien commun, pour bâtir une société du partage, il faut refuser d’entrer dans ce processus basé sur le mépris de l’autre.

Fait significatif : l’Etat islamique a plusieurs fois déclaré qu’il souhaitait la victoire de Marine Le Pen en France. Pourquoi ? Pour deux raisons. D’abord, parce que les extrémistes et les violents se nourrissent toujours d’autres extrémismes et d’autres violences. Pour continuer à exister, ils ont besoin d’avoir en face d’eux des personnes et des mouvements qui leur ressemblent et qui pensent comme eux. Ensuite, parce que les djihadistes rêvent de voir notre pays tomber dans la guerre civile. Ils rêvent de séparer et de désunir les Français… ce à quoi contribue grandement l’idéologie du Front national. En ce sens, on peut dire que Le Pen est LA candidate de Daesh.

En nous invitant à aimer nos ennemis (ennemis réels ou perçus comme tels), à bénir ceux qui nous maudissent, à faire du bien à ceux qui nous haïssent et à priez pour ceux qui nous maltraitent et qui nous persécutent (Matthieu 5, 44), Jésus nous explique comment rompre le cercle vicieux de la méfiance et de la défiance. Un cercle vicieux qui conduit à l’affrontement et à la guerre. La main tendue, la compréhension, le dialogue sont les « armes » de l’arsenal chrétien. Les mots de paix conduisent à la concorde aussi sûrement que les mots violents conduisent à l’action violente. Contrairement au proverbe romain qui affirmait : « Si tu veux la paix, prépare la guerre », les disciples du Christ doivent chercher à mettre en œuvre un autre adage : « Si tu veux la paix, prépare la paix ».

9. Le Front national nie les valeurs chrétiennes

L’Évangile n’est pas un programme politique. Cependant il donne des directions, des exigences éthiques, il indique des attitudes (celles du Christ) qui se traduisent dans le comportement individuel, mais aussi dans la vie sociale. Etre chrétien, c’est poser des choix cohérents avec cette attitude humaine fondamentale d’accueil et de solidarité avec l’autre. Inscrite au cœur du message évangélique, la fraternité universelle n’est pas négociable, surtout quand il s’agit des plus faibles. Vouloir séparer, comme le suggère Marion Maréchal-Le Pen, charité individuelle et charité collective, charité morale et charité politique, est une attitude schizophrénique qui n’a pas de sens. Pour un chrétien, l’action politique est forcément en cohérence avec l’engagement personnel. Le Christ ne nous invite-t-il pas à unifier notre vie ?

Un seul exemple : si je crois à l’écologie, je ne vais pas me contenter de pratiquer le tri sélectif, seul dans mon coin. Je vais faire en sorte que mon pays participe au grand mouvement du développement durable et de réduction des déchets. Même chose pour les migrants. Si je crois qu’il est important d’ouvrir la porte de chez moi à celui qui demande de l’aide, et si je crois que l’accueil de l’autre est une richesse en même temps qu’un devoir moral, je vais tout faire pour que le gouvernement de mon pays mette en place les structures et les actions nécessaires pour accueillir dignement les demandeurs d’asile qui frappent à la porte. Quoi qu’en dise Marion Le Pen-Maréchal, toujours prête à instrumentaliser le catholicisme, dans l’espoir de gagner de nouveaux électeurs, pour un chrétien, la solidarité envers l’ensemble de la famille humaine n’est pas une option.

Ecoutons Jésus,dans l’Evangile de St Matthieu 25, 41-46 : « Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. » Alors ils répondront : « Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ? » Il leur répondra : « Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait. » Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »

10. Le Front national va à l’encontre de l’Histoire

Ces dernières décennies, de très nombreuses autorités morales, chrétiennes ou non, ont défendu cette notion de « famille humaine » et de fraternité universelle. Parmi elles, plusieurs prix Nobel de la paix et bien d’autres : l’Abbé Pierre, Sœur Emmanuelle, Jean Vanier, Mère Teresa, frère Roger, frère Aloïs, Gandhi, Martin Luther King, Desmond Tutu, Nelson Mandela, Aung San Suu Kyi, les papes Jean-Paul II, Benoit XVI et François, et tant d’autres. Les imagine-t-on un seul instant adhérer aux thèses du Front national ? Bien sûr que non, et pour cause. Ce parti guerrier et réactionnaire n’est qu’un parti de crise dont les remèdes sont pires que le mal. Comme la fièvre qui joue un rôle d’alerte, le FN est toujours le symptôme d’une maladie du corps social. Si on la laisse monter, elle peut devenir mortelle. Ses idées mortifères vont à l’encontre du grand mouvement de l’Histoire qui est aussi le mouvement de la vie.

A l’heure de la mondialisation, le monde est devenu notre village commun. Le « chacun chez soi » n’est tout simplement plus possible. L’avenir est au métissage : rencontre des cultures et des religions, voyages et migrations, échanges économiques, couples mixtes… Il n’y aura pas de « grand remplacement » (l’un des fantasmes de l’extrême-droite), mais il y aura un « grand mélange ». Il a déjà commencé. Refuser cette nouvelle réalité, c’est se battre contre des moulins à vent, c’est construire des châteaux de sable pour endiguer la marée. Plutôt que de nous enfermer dans des forteresses illusoires, nous devons plutôt chercher à accompagner ce mouvement, riche de formidables opportunités, pour mieux l’orienter et pour en corriger les possibles effets négatifs à court terme (dérégulation économique, insécurité culturelle et identitaire, etc.). Un monde en mutation est un monde forcément plus fragile. Le Dieu de Jésus-Christ nous invite à ne pas avoir peur de l’avenir (« Il nous précède en Galilée », Marc 16,7) et à créer un monde de paix et de compréhension mutuelle. Un monde où il ne s’agit plus de se battre les uns contre les autres, mais de prendre soin ensemble de notre maison commune, dans le dialogue et la coopération.

En conclusion, j’aimerais vous partager une belle histoire. Chaque année, je me rends dans un département français qui, lui aussi, connaît la crise, le chômage et de nombreux problèmes sociaux. Dans ce coin de terre où il fait bon vivre, les gens sont peut-être un peu moins riches qu’ailleurs, mais ils sont plutôt heureux. Situé à 10 000 km de la métropole, au cœur de l’Océan indien, ce département, c’est l’île de La Réunion. Sur cette île, se côtoient toutes les races, toutes les origines, toutes les cultures du monde. Elles se rencontrent, elles vivent ensemble, elles créent ensemble, elles se marient. Là-bas, les différences, loin d’être perçues comme une menace sont l’occasion d’un extraordinaire métissage. Le métissage ! Voici tout ce que déteste le Front national. Tout ce qui lui résiste aussi. Depuis la nuit des temps, c’est en se mélangeant que les humains découvrent ce qui les rassemble : leur humanité commune. C’est en se mélangeant qu’ils découvrent qu’ils sont faits pour vivre ensemble. Aujourd’hui, avec la mondialisation, ce mouvement s’accélère. C’est le mouvement de l’histoire. Il est fini le temps des grottes et des cavernes où chacun vivait reclus dans sa tribu. La soi-disant pureté ethnique ou religieuse n’est qu’un mythe qui conduit à la guerre civile, ou internationale, et au génocide (j’ai connu cela au Rwanda, j’en ai été l’un des témoins directs en 1994). Les habitants de La Réunion ont un siècle ou deux d’avance sur nous. Prenons exemple sur eux et bannissons une fois pour toutes tous ces discours mortels qui, sous couvert de sécurité et de protection, mettent en péril notre humanité.

Laïcité, mon amour

Laïcité Alain Jocard AFP
Photo : Alain JOCARD, AFP

Réponse à Laurent Bouvet.

Dans une tribune publiée sur le site d’information Slate.fr, intitulée « Il faut sauver la laïcité de son Observatoire », vous estimez que le conflit qui oppose deux conceptions de la laïcité n’a que trop duré. Et vous avez raison ! Je pense moi aussi qu’il est temps de clarifier un débat où l’idéologie a malheureusement trop souvent pris le pas sur la raison. Jusque-là, nous sommes d’accord.

Mais j’ai pointé dans votre discours quelques erreurs, approximations et autres points de désaccord sur lesquels j’aimerais revenir.

1°) Vous affirmez que du côté des soutiens de l’Observatoire de la laïcité, on trouve les partisans d’une laïcité « purement juridique ». Cette vision est franchement réductrice. Le droit, en effet, sert de base à une réflexion et à des actions qui vont dans le sens d’un vivre ensemble et d’une paix sociale dont notre pays a plus que jamais besoin. L’intérêt du droit, c’est d’être objectif et de s’imposer à tous. Mais défendre la lettre de la laïcité et s’appuyer sur la loi de 1905 ne veut pas dire qu’on en nie l’esprit. Bien au contraire. Cet esprit, c’est l’unité de la nation. Vouloir opposer, comme vous le faites, la lettre et l’esprit de la laïcité ne me paraît guère judicieux. Pour être mise en œuvre, la lettre a besoin de l’esprit et réciproquement. C’est sans doute l’une des raisons pour laquelle des organisations telles que la Ligue de l’Enseignement, la Ligue des droits de l’Homme ou la Fédération nationale de la Libre Pensée ont voulu apporter leur soutien à l’Observatoire.

2°) Parmi ces soutiens, vous citez le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) que vous associez étrangement à l’association Coexister. Pourtant, ces deux organisations n’ont pas grand chose à voir. L’une est confessionnelle, l’autre est interconvictionnelle et laïque. L’une est de type communautaire, l’autre combat les communautarismes. L’une défend le multiculturalisme, l’autre cherche à promouvoir la « coexistence active » et l’interculturalisme. L’une dénonce la loi de 2004 sur les signes religieux ostentatoires à l’école, l’autre soutient son application. L’une est dans une posture défensive, l’autre développe un projet positif et dynamique de cohésion sociale. Certes, ces deux organismes ont signé la même tribune, « Nous sommes Unis », appelant à la cohésion des Français. Est-ce un crime ? Quand on cherche la cohésion, on n’exclut pas les différences, on essaie au contraire de les inclure. D’où la grande diversité des quelque 80 signataires qui ont signé cet appel.

3°) D’ailleurs, autre question, pourquoi vous contentez-vous de ne citer que ces deux organisations ? Parmi les 80 signataires, on trouve des responsables associatifs, des leaders politiques, des parlementaires, des intellectuels et des personnalités aussi diverses que respectables que Jean-Paul Delevoye (ancien président du Conseil économique, social et environnemental), Combo (artiste), Raymond Etienne (président de la Fondation Abbé Pierre), Marie-Aleth Grard (vice-présidente de ATD Quart-Monde), Erwan Binet (député PS de l’Isère, artisan de la loi sur le mariage pour tous), Laurent Berger (secrétaire général de la CFDT), Louis Gallois (président de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale – FNARS) ou Cécile Duflot (ancienne ministre). Pourquoi ne pas en avoir cités quelques uns ? Gêneraient-ils votre démonstration ?

4°) Vous affirmez que Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène défendent une conception « particulière » de la laïcité, en oubliant que l’Observatoire compte 21 membres, dont sept hauts fonctionnaires (représentant les administrations concernées), deux députés et deux sénateurs (deux parlementaires de la majorité et deux de l’opposition), ainsi que dix personnalités désignées en raison de leurs compétences et de leur expérience. Il suffit de lire les documents et des guides, publiés depuis trois ans, pour constater la qualité de leur travail. Une réflexion qui ne se limite pas, loin de là, aux questions juridiques. J’ajouterai que sur ces 21 membres, seuls trois d’entre eux (Jean Glavany, Françoise Laborde et Patrick Kessel) font partie des opposants. Ils l’ont été dès la première heure. Une posture ? Mais, au-delà des personnes, le plus problématique c’est que nous ne savons pas, à la lecture de votre tribune, quel est le contenu de la laïcité que vous souhaitez défendre. Vous dénoncer le soi-disant juridisme des uns, sans expliquer ce que vous, vous proposez concrètement. Et je comprends que ce soit difficile, car les opposants à l’Observatoire, que l’on peut aisément qualifier de « laïcistes », portent des visions à la fois très subjectives et très différentes les unes des autres, n’ayant comme seul point commun d’être anti-musulmanes, voire carrément anti-religieuses. Il suffit de voir comment une femme admirable telle que Latifa Ibn Ziaten, maman de ce soldat assassiné par Mohamed Merah, a été copieusement sifflé par certains amis de Jean Glavany, lors d’un colloque organisé à l’Assemblée nationale, simplement parce qu’elle portait un voile. Une honte. Est-ce cette laïcité que vous nous proposez ? Que ce soit dans les médias ou sur les réseaux sociaux, je suis frappé aussi par l’agressivité de certains de ces militants laïcistes, qui n’hésitent pas à « excommunier » (un comble) ou à vouer aux gémonies ceux qui ont le malheur de défendre une vision plus apaisée, plus « inclusive » (j’ose ce terme que vous n’aimez pas, vous me pardonnerez) de la laïcité. Non, la laïcité ne peut pas être un conglomérat de subjectivités qui relèvent de discours idéologiques souvent très datés, issus des antagonismes du XIXe siècle.

5°) Vous demandez à l’Observatoire de rester neutre face aux différentes visions de la laïcité. Une forme de passivité intellectuelle en quelque sorte, alors que sa mission est précisément d’éclairer les pouvoirs publics sur la question et de proposer au gouvernement « toute mesure qui pourrait permettre une meilleure mise en œuvre de ce principe, notamment pour assurer l’information des agents publics et des usagers des services publics ». Ce travail nécessite des prises de position claires et précises. Comment imaginer qu’il puisse y avoir des préconisations contradictoires ? Avec option A, option B, option C ? Ce serait non seulement irréaliste, mais dangereux. Pour défendre et promouvoir la laïcité, il faut un cap. Ce cap est donné par l’Observatoire, à la grande majorité de ses membres.

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6°) Vous rappelez fort opportunément que l’article 1er de la Constitution de 1958 stipule que «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.» Or, si la France respecte toutes les croyances, cela veut dire aussi qu’elle doit respecter leur expression publique. Point sur lequel vous restez étrangement silencieux. L’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 l’affirme : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ». Tant en public qu’en privé ! Contrairement à une formulation répandue, que vous semblez reprendre à votre compte, la religion ne saurait être cantonnée dans une « sphère privée », dès lors que la République non seulement « assure la liberté de conscience », mais « garantit le libre exercice des cultes » (article 1er de la loi de 1905). Dans son article 18, le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques du 16 décembre 1966 (ratifié par la République française le 25 juin 1980), et la Convention européenne (article 9) visent de même clairement « la liberté de manifester sa religion […] individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé », notamment par des  » pratiques  » et non pas seulement par des « rites ». Mais vous n’êtes pas le seul à entretenir cette confusion. Depuis une vingtaine d’années, un certain nombre d’intellectuels, par paresse, par ignorance ou par militantisme, entretiennent la confusion entre « service public » et « espace public ». Or, comme l’a très bien rappelé le ministre Laurent Fabius, lors d’une conférence inaugurale à Sciences Po, « la laïcité, c’est la neutralité de l’Etat, pas la neutralisation des citoyens ». Le service public et ses agents doivent rester neutres. L’espace public doit rester un espace de liberté.

7°) Lorsque vous affirmez que « la laïcisation de l’Etat dans un pays comme la France est intrinsèquement liée au mouvement général de sécularisation de la société », vous prenez le risque d’entretenir une confusion entre laïcité et sécularisation. Vous établissez un lien de subordination entre le choix politique de la laïcité et le mouvement sociologique de sécularisation. Or, combien même la France serait un pays très catholique, comme c’est le cas de la Pologne ou de l’Irlande, je me battrais – sans attendre je ne sais quelle sécularisation – pour la séparation des Eglises et de l’Etat, pour la neutralité de l’Etat, pour la liberté de conscience et de religion et pour la liberté de croire ou de ne pas croire. Je me battrais pour la laïcité, condition d’un vivre ensemble dans un monde globalisé où les croyances et les convictions sont de plus en plus amenées à se côtoyer et à se mélanger.

8°) Vous écrivez : « La laïcité permet de bien comprendre l’égalité de tous devant la loi puisqu’elle empêche de distinguer autre chose chez chacun d’entre nous que le citoyen – cet homme sans étiquette, selon la belle expression de Régis Debray – et de là rend possible une fraternité ». Je ne sais pas exactement ce que veut signifier Régis Debray lorsqu’il utilise cette expression, mais je vois bien ce qu’elle veut dire sous votre plume. Et je vous avoue que cela m’inquiète. Si je comprends bien, pour vous, la laïcité ne doit plus être la neutralité de l’Etat, mais la neutralisation des citoyens. Vous nous proposez une société aseptisée, où les personnes (je préfère ce terme à celui d’individu) n’auraient plus de convictions singulières. Ce serait le règne de Big Brother. Non, me direz-vous, car la diversité des convictions peut exister à condition qu’elle reste dans l’intime, le privé, le caché. Et c’est là que vous commettez une erreur. En effet, il faut vraiment méconnaître l’esprit humain, en général, et l’adhésion spirituelle ou religieuse, en particulier, pour imaginer que l’expression publique de ce à quoi on croit en profondeur puisse être ainsi annihilé, oublié, effacé. La répression des comportements ne peut qu’entraîner de nouveaux communautarismes et faire ainsi advenir ce que l’on prétend combattre. Chassez le refoulé, il reviendra toujours au galop, sous des formes parfois anarchiques, voire violentes. C’est un peu ce qui se passe aujourd’hui dans la société française. A force d’avoir refoulé le religieux, notamment dans les écoles où il faudrait au contraire l’enseigner selon les règles de la Raison, celui-ci fait son grand retour, sous des formes parfois très identitaires que, ni moi ni vous me semble-t-il, n’avons envie de voir réapparaître. Tout est question d’articulation : être humain, c’est conjuguer harmonieusement ses convictions, ses adhésions ou ses identités plurielles.

9°) Je voudrais, au sujet de l’expression « citoyen neutre et sans étiquette », vous raconter une anecdote : j’ai fait partie en 1994, des quelques journalistes ayant couvert le génocide rwandais. Un génocide politique, instrumentalisant deux « appartenances » ethniques, hutus et tutsis, créées de toute pièce par les colonisateurs belges à la fin du XIXe siècle. Des appartenances superficielles, artificielles, difficilement comparables aux adhésions religieuses, mais malheureusement bien présentes dans l’esprit de ceux qui avaient appris, souvent malgré eux, à s’y identifier. En 2004, dix ans plus tard, je suis retourné au Rwanda pour couvrir la commémoration de cette tragédie. J’y suis allé notamment pour enquêter sur le travail de réconciliation entre Rwandais. Mon reportage s’est terminé en prison. Pourquoi ? Parce que j’avais eu le malheur de citer la présence de hutus et de tutsis dans ce processus de réconciliation. En utilisant ces deux termes, je faisais juste référence à l’histoire récente de ce pays et à la manière dont ses habitants, qu’on le veuille ou non, se reconnaissent intérieurement. Loin de moi, l’idée de raviver les vieilles blessures, mais il fallait bien que je m’inscrive dans l’histoire tragique de ce pays pour distinguer, notamment, les bourreaux des victimes. Mal m’en a pris puisque le président dictateur Kagamé, pour mieux asseoir son pouvoir, avait décrété qu’il n’y avait plus de « tutsis » ou de « hutus », sous-estimant le sentiment d’appartenance et le ressentiment des uns et des autres. Selon lui, il n’y aurait plus au Rwanda que des « citoyens rwandais », neutres, sans étiquettes comme vous le dites, sans histoire et sans mémoire. Et pourtant, la réalité est toute autre. Pour la transformer, il faut l’assumer, la prendre en charge, pas l’ignorer. Cette attitude de déni, qui consiste à ne pas prendre les différences à bras le corps, porte en elle-même le germe d’une guerre civile, voire d’un nouveau génocide. Comparaison n’est pas raison, mais je reste convaincu que, pour mieux vivre ensemble, les Français doivent eux aussi apprendre à se connaître, à se respecter et à accepter leurs différences. Unité n’a jamais été synonyme d’uniformité.

10°) Entre, d’un côté, les pays où les croyances sont religions d’Etat et, de l’autre côté, les systèmes multiculturels à l’anglo-saxonne, qui conduisent aux communautarismes, avec le risque d’aboutir à une société fragmentée, la laïcité française offre une magnifique troisième voie. Notre laïcité permet aux citoyens de ne pas renoncer à leurs convictions (religieuses ou non) ou à leurs identités culturelles, plurielles, toujours plurielles. Cette laïcité ne peut pas et ne doit pas être une « valeur ». Encore moins une religion civile, séculière. Cela pourrait devenir dangereux et produire un athéisme d’Etat, bien éloigné de la neutralité républicaine. Cette laïcité en laquelle je crois est un cadre juridique, certes, mais elle est aussi un cadre moral, spirituel et politique, qui permet à chacun d’adhérer aux valeurs républicaines, pour mieux les mettre en œuvre : liberté, égalité, fraternité. Si un jour, n’en déplaise à tous les amoureux de la République, notre laïcité devait devenir liberticide, créer de nouvelles inégalités ou détruire le lien fraternel qui doit nous unir, alors elle ne deviendrait plus qu’une caricature, trahissant elle-même les idéaux qu’elle est censée porter et promouvoir. Face aux fanatismes, face aux extrémismes religieux que vous mentionnez dans votre article, nous ne devons pas renoncer à nos valeurs. Nous devons même les approfondir. L’Observatoire de la laïcité est là pour y veiller. Nous devons l’y aider.

En conclusion, je dirais que la laïcité, loin de se réduire à un cadre juridique, est un art de vivre ensemble. Un art qui demande à être sans cesse inventé et réinventé, par le dialogue, le bon sens et la concertation. A cet égard, il faut se méfier des pétitions de principe et des postures idéologiques, souvent héritées du passé. Dans une démocratie, la liberté doit toujours être la règle et l’interdiction, une exception. Ce fut en 1905, la ligne d’Aristide Briand. Ce fut aussi celle de Jean Jaurès.

Pour le reste, je crois qu’il y a un grand non-dit dans le débat autour de la laïcité. Un non-dit qui relève de notre rapport au monde, aux autres, à l’altérité. Cette part d’irrationnel que nous portons au fond de nous et que certains appellent la peur. Et il est difficile, pour ne pas dire quasi impossible, de raisonner quelqu’un qui a peur. Peur de l’autre, peur de l’étranger, peur du musulman, peur des religions, peur d’être envahi, bouffé, détruit, peur de l’avenir. Plus forte encore que le sentiment d’insécurité culturelle que vous avez très bien décrit, cette peur, quand elle est là et qu’elle nous tenaille façonne nos opinions, nos manières de voir et de penser. Elle n’en est pas toujours le résultat, elle en est souvent le préalable. Et s’en débarasser n’est pas une mince affaire. C’est un travail à réaliser sur soi-même. Un travail qui ouvre bien des horizons et permet le libre exercice de la pensée.